Présenté comme un chantier « essentiel » de son second quinquennat, Emmanuel Macron prétend chercher, par cette nouvelle réforme des lycées professionnels « à revaloriser la voie professionnelle ». On ne compte plus les gouvernements, de droite comme de gauche, qui ont ouvert ce chantier sans pour autant le voir aboutir. En effet, nombreuses ont déjà été les proclamations gouvernementales qui se faisaient fort de réformer l’enseignement professionnel initial, sans pour autant parvenir à revaloriser cette filière toujours considérée comme une voie de relégation par les jeunes eux-mêmes, leurs familles ou les employeurs. La création du « bac pro » en 1985 avait augmenté le temps de formation. Depuis une quinzaine d’années, les différentes réformes (Bac Pro passant de 4 à 3 ans, réforme Blanquer…) se sont malheureusement toutes traduites par des réductions du temps de formation en enseignement général et professionnel.
Qu’en est-il dès lors de ces nouvelles mesures qui devraient entrer en vigueur dès la rentrée prochaine ? Peut-on espérer qu’elles seront à même de permettre aux jeunes très largement issus des milieux populaires (les enfants de cadres représentent seulement 7 % des élèves des lycées professionnels, contre 5 fois plus pour les enfants d’ouvriers) de se former aux métiers de demain ? Permettront-elles de redonner à la formation professionnelle initiale son rôle, face aux enjeux que vit un monde du travail en mal de qualifications, notamment aux niveaux ouvriers et employés qualifiés ?
Il est malheureusement permis d’en douter.
L’idéologie libérale de la réforme :
1) Une double tutelle lourde de menaces :
Derrière un discours supposé valoriser la formation professionnelle sous statut scolaire, se cache en réalité la volonté de soumettre les lycées professionnels aux besoins immédiats des entreprises. C’est le même virage que celui pris par la formation professionnelle continue depuis quelques années. Le fait d’avoir mis pour la première fois le ministère délégué à l’enseignement professionnel (confié à Carole Grandjean) sous la double tutelle d’Olivier Dussopt ministre du travail, du plein-emploi et de l’insertion et de Pap Ndiaye, ministre de l’Éducation nationale et de la jeunesse, symbolise cette nouvelle orientation.
Conséquences : les lycées professionnels ne sont désormais plus gérés par le ministère de l’éducation nationale mais uniquement par la ministre déléguée ! Loin de relever de la simple organisation administrative, cette décision de glissement de tutelle est bien révélatrice du tournant adéquationniste que l’Etat compte faire prendre à cette filière.
2) Revoir la carte des formations de manière purement adéquationniste sous couvert d’une meilleure insertion en oubliant l’accès à la qualification :
La réforme a pour ambition de recruter davantage de professeurs issus du monde professionnel, préparer les jeunes à la recherche d’emploi avant la fin de leurs études, ou encore revoir la carte des formations au niveau des territoires. Autrement dit, « fermer celles qui n’insèrent pas », « développer celles qui marchent » et « en créer de nouvelles tournées vers les secteurs qui recrutent », mais aussi « adapter les diplômes aux nouvelles compétences requises en faisant preuve d’agilité. », dixit E. Macron, afin de faire de la voie professionnelle une filière d’excellence, très « insérante », comme celle de l’apprentissage.
Le discours récurrent sur l’apprentissage consistant à le présenter comme la voie « royale » avec 70 % des jeunes ayant emprunté cette voie qui accéderaient à l’emploi plus facilement que les élèves sortant de bac pro doit être pondéré par le poids de la sélection à l’entrée ou via le contrat de travail, les taux de ceux qui poursuivent leurs études et les taux de rupture qui ne sont jamais pris en compte dans les chiffres.
De plus, l’insertion professionnelle rapide n’est pas un gage d’une évolution professionnelle de qualité à long terme mais c’est bien la qualification qui permet un parcours plus ambitieux. Sur ce point, le lycée professionnel % pour le Bac Pro et 73 % pour le CAP, nettement supérieur à l’apprentissage respectivement 41 % et 59 %.
Et les poursuites d’études y sont plus nombreuses (46 % contre 9 % pour l’apprentissage). Le taux de décrochage y est moins élevé (13 % contre 30 %) et, sur le long terme, les jeunes s’insèrent mieux dans la vie professionnelle et citoyenne.
Ces dernières années, le public des lycées professionnels a évolué, avec une réduction des redoublements mais aussi une forte augmentation des élèves de 15 ans et moins entrant en cycle professionnel (environ 25 % en 2005 à 69 % en 2021 – source DEPP-MEN).
Conséquences :
Une carte des formations réduite aux débouchés locaux en pulvérisant le cadre national garant de l’égalité entre élèves, une restriction des possibilités d’orientation des élèves et la suppression de postes (Plan social) et « Reconversion » des enseignants.
3) Augmentation de 50% des Périodes de Formation en Milieu Professionnel (PFMP) et dérégulation de l’organisation des emplois du temps :
Si le gouvernement se permet d’arguer la gratification des stages comme une avancée dans sa volonté d’augmenter les PFMP de 50 %, celui-ci ne tient absolument pas compte de la réalité : à chaque départ en stage, un certain nombre d’élèves n’ont pas de terrain de stage, certains stages sont interrompus pour des raisons diverses, certain·es élèves ne sont pas réellement encadré·es par un tuteur, beaucoup de PFMP se résument à la répétition de la même tâche…
De même, dans cette organisation, il est prévu un départ en différé par demi-classes avec chevauchement pour la continuité pédagogique, répondre par la souplesse aux environnements sociaux-économiques et les spécialités professionnelles ainsi que la possibilité de stages filés (1 à 2 jours par semaine en fonction du lieu d’accueil, ou sur les vacances scolaires ou de prise en compte du Service National Universel). Cette nouvelle organisation proposée montre à quel point le gouvernement souhaite mettre les élèves à disposition des entreprises à tout moment.
Conséquences :
Les élèves n’auront quasiment plus d’heures d’ateliers et enseignements pratiques puisque l’entreprise les « formera » mais uniquement à la tâche ! Perte de culture générale : les matières générales étant très en danger, ne parlons même pas des sorties culturelles et la perte de culture technique, pourtant essentielle à l’évolution et la mobilité professionnelle sur le long terme.
L’entreprise est-elle un lieu dangereux pour les jeunes ?
Si l’apprentissage commence dès l’âge de 15 ans, les élèves des lycées professionnels sont aussi très jeunes (souvent moins de 16 ans en entrée en 2de Bac Pro).
Malgré le martèlement médiatique présentant l’entreprise comme essentielle dans la formation de nos plus jeunes, celle-ci n’est pourtant pas le lieu idyllique, loin de là ! En effet, elle présente pour les jeunes – qui, de surcroît peuvent moins se défendre –, des risques renforcés de manquement à la sécurité, d’exposition aux produits dangereux, aux accidents du travail et aux violences sexistes et sexuelles que les adultes.
En 2019, l’Assurance maladie a recensé 10 301 accidents du travail d’apprenti·es. Plus d’un par heure ((Compte twitter « Accident du travail : silence des ouvriers meurent »)) ! À cela s’ajoutent 3 110 accidents de trajet. Les apprenti·es représentent 50 % des accidents de travail des salarié·es de moins de 20 ans.
Cette surreprésentation des apprenti·es dans les accidents du travail n’est pas liée à des conduites à risques, mais bien aux conditions de travail.
Les transferts financiers de la réforme :
Cette politique du tout apprentissage, au détriment de la voie professionnelle scolaire, a de forts effets négatifs sur la situation financière de l’ensemble du système de formation professionnelle en France. France Compétences, organisme public en charge de la gestion de l’ensemble du système de formation professionnelle des jeunes et des salariés, se trouve aujourd’hui dans une situation particulièrement critique, puisqu’il est en déficit cumulé de quelques 13 milliards d’euros. Sachant que la part de l’apprentissage dans ce déficit est particulièrement important (environ les deux tiers), on voit concrètement en quoi cette politique met directement en cause l’ensemble de l’édifice construit depuis plus de 50 ans.
L’éducation nationale en devient aujourd’hui une des principales victimes puisqu’une des pistes proposées en 2020 par l’IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales) et l’IGF (Inspection Générale des Finances ((Avril 2020 : Rapport IGAS-IGF)) ), et reprise largement aujourd’hui, est de redéployer une partie de son budget pour financer l’apprentissage en supprimant au minimum 1 650 postes.
Deux ans après, ce chiffre a été multiplié par 5 puisque les premières estimations de Daniel Bloch (ancien recteur qui a mis en place le Bac Pro dans les années 80) sont plutôt entre 8 000 et 10 000 suppressions de postes avec la réforme (environ 12 à 16 % des Profs de LP) ((Daniel Bloch : Quelle réforme pour la voie professionnelle ? Le Café Pédagogique 17 octobre 2022)). Il y a fort à craindre que la course à l’échalote engagée entre l’apprentissage et la formation professionnelle sous statut scolaire, instaurée sous la houlette des pouvoirs publics et la pression du patronat, se traduise par une baisse de la qualité des formations dispensées dans ces deux secteurs, au dépend des jeunes les moins qualifiés.
Pour la CGT, l’instauration d’une telle concurrence en faveur de l’apprentissage risque également d’accentuer la perte de sens ressentie par les enseignants des lycées professionnels qui se fixent encore comme objectif de former des travailleurs qualifiés permettant de répondre aux besoins de l’économie, mais aussi des citoyens capables de décider de leur propre destin.
Comme toutes les réformes décidées par les gouvernements successifs de ces 20 dernières années, celle-ci, annoncée comme une valorisation de la formation professionnelle, ne servira en réalité qu’à répondre à la volonté des employeurs de soumettre les lycées professionnels aux besoins immédiats de leur entreprise.
La CGT alerte, des conséquences de cette réforme : une baisse de la qualité des formations dispensées et d’une perte de motivation à la fois du côté des enseignants et de celui des élèves.
Note de la CGT
Montreuil, le 27 janvier 2023