Sortir l’énergie du marché et en faire un bien de première nécessité

Entretien avec SÉBASTIEN MENESPLIER, secrétaire général de la FNME-CGT (Fédération nationale des mines et de l’énergie CGT). Publié par le journal l’Humanité daté du 1er octobre 2022.

L’Europe reconnaît une crise majeure et parle de réformer le marché. Le syndicaliste Sébastien Menesplier, n’en attend rien et appelle à retrouver rapidement la maîtrise publique de chaque filière.

Élisabeth Borne vient d’annoncer une nouvelle augmentation de 15 % des tarifs du gaz et de l’électricité. Comment réagissez-vous ?

Je suis déçu et toujours en colère face à cette politique menée par un gouvernement qui n’a rien compris à la situation et se cache derrière son bouclier tarifaire et les chèques énergie pour faire croire qu’il limite la casse. Résultat, les ménages sont à nouveau pressurés et leur pouvoir d’achat encore une fois rogné. Ce gouvernement s’obstine à ne pas utiliser les leviers dont il dispose pour sortir de cette crise : la baisse de la TVA à 5,5 %, qui reconnaîtrait l’énergie comme un bien de première nécessité et permettrait une diminution immédiate des factures, et surtout la sortie de ce système du marché européen. C’est le seul moyen de revenir à une organisation du tarif réglementé, calculé sur les coûts de production. En confirmant la logique de marché, la stratégie du gouvernement revient à nourrir un système où certains vont faire du profit pendant que d’autres devront serrer les dents pour payer leurs factures.

Ursula von der Leyen assure qu’une réforme « profonde » du marché de l’électricité à l’échelle européenne est en discussion. Que faut-il en attendre ?

Rien. Réformer le marché, c’est le confirmer. Il faut stopper ce marasme. Les États européens doivent pouvoir organiser leur politique énergétique comme ils le souhaitent. Pour la France, cela passe par la maîtrise publique de chaque filière, organisée dans un grand service public. Il faut nationaliser les entreprises, retrouver des monopoles publics et revenir à un véritable encadrement des tarifs.

En sortant du marché européen, la France risque-t-elle, comme certains l’affirment au gouvernement, de se retrouver dans une situation de black-out ?

Absolument pas. Le marché européen n’a pas toujours existé et les États producteurs ont toujours exporté pour couvrir les besoins de leurs voisins. La vente commerciale n’a pas besoin de la Bourse. Elle peut être organisée intelligemment, dans un esprit de coopération. La sortie du marché demande à être organisée. Encore faut-il le décider.

Pour passer les mois difficiles, gouvernement et direction d’EDF assurent que toutes les tranches du parc nucléaire aujourd’hui à l’arrêt auront redémarré d’ici à la fin de l’année. Est-ce réaliste ?

Il ne m’appartient pas de mesurer si EDF et le gouvernement font de l’esbroufe ou disent la vérité. Ce que je sais, en revanche, c’est que les agents du service public œuvrent au quotidien pour que les centrales puissent être disponibles sur le réseau au plus tôt. Mais nous ne sommes jamais à l’abri d’aléas techniques. Quoi qu’il en soit, nous allons devoir passer une période difficile. Et nous nous rendons compte aussi que, pour passer l’hiver, il nous manque des moyens de production. Je pense à la centrale de Fessenheim, fermée par la direction d’EDF sur injonction gouvernementale, mais également à la centrale à charbon du Havre, où les travailleurs portaient pourtant un projet de reconversion. Il n’a jamais été accepté.

La libéralisation est une spoliation sans limites

Déjà obligée de vendre une partie de sa production d’électricité nucléaire à ses concurrents privés, EDF est désormais contrainte par l’Autorité de la concurrence de mettre à disposition des fournisseurs privés ses fichiers clients. Le 22 février 2022, l’Autorité, considérant que l’opérateur public usait de son fichier de clients éligibles au tarif réglementé de vente (TRV) pour commercialiser de nouvelles offres d’abonnement, a condamné EDF à 300 millions d’euros d’amende. Mais pas seulement. EDF doit également « mettre à disposition des fournisseurs d’électricité alternatifs qui en feraient la demande son fichier client au TRV Bleu », explique l’Autorité de la concurrence. Une mesure qui « vise à ce que les fournisseurs puissent mener des actions de prospection commerciale et proposent des offres d’électricité, de gaz ou de services », indique EDF. Les abonnés doivent alors choisir entre fournir toutes leurs données personnelles et – « sauf opposition » – opter pour que soient transmises aux opérateurs privés leur adresse, la puissance souscrite et leur consommation sur les deux dernières années. Le scandale continue.